lundi 29 août 2011

Le pire-que-capitalisme

Allez, je jette en pâture. Pas le temps, pas le courage, pas l'envie pour le moment de creuser. Juste une intuition, subite. Dans un monde capitaliste, on aurait laissé les banques intoxiquées couler et de nouvelles plus saines auraient pris place, il me semble. Dans un monde capitaliste, on poursuivrait la marche en avant, le travailler moins pour gagner plus, il me semble. Il ne suffit donc pas que le monde soit capitaliste, ce contre quoi il paraît déjà ringard de se battre. Il est pire-que-capitaliste.

Je ne sais pas. C'est d'autant plus étrange, j'ai eu cette pensée immédiatement après m'être commémoré un passage du Journal de Léon Bloy, mentionnant son périple chez Émile Zola. Émile Zola. Comme dirait Dieudonné, au-dessus c'est le Soleil de la littérature, fin du XIXe siècle. Et pourtant, quel abject, quel abominable, intolérable comportement :

14 juillet 1892
Fête nationale du Goujatisme. Expédition à Médan. Voyage cruel, avec des griffes autour du coeur. Introduit dans cette maison videment cossue, je fais passer une lettre ainsi libellée :


Monsieur, J'arrive de très loin - de toutes manières - et je vous prie de m'accorder un quart d'heure d'entretien, une demi-heure, s'il est possible, pour une communication dont vous apprécierez l'importance. Mais seul à seul.
Ne croyez pas trop aux légendes de la haine et n'écoutez pas non plus vos ressentiments personnels. Dites-vous simplement que ma démarche doit avoir pour objet quelque chose de tout à fait impossible à conjecturer et recevez-moi, sinon par curiosité, du moins avec la bienveillance et la bonne humeur qui conviennent à votre force.
Agréez, Monsieur, l'assurance de mon respect insolite pour l'auteur de La Débâcle
LÉON BLOY

- Il s'agit, aurais-je dit à Émile Zola, de Barbey d'Aurevilly, enterré depuis trois ans, dont vous fûtes l'ennemi et qui fut le vôtre. Et je lui aurais offert de m'aider à sauver la précieuse collection. Le portrait du dernier des Goncourt était devant moi, me rappelant un abominable passé. Après cinq minutes, le domestique vient de me dire que Monsieur ne peut pas me recevoir. Il a du monde et ne saurait se déranger. J'insiste pour savoir si je serai plus heureux un peu plus tard. La consigne est absolue. Le drôle ne me recevra pas. Je m'en vais donc, délivré de l'horrible constriction du coeur, mais submergé, noyé de dégoût.
Comment est faite cette âme ? Voici un homme comblé de bonheur, rassasié de triomphes, qui sait que je suis un artiste pauvre, VOLONTAIREMENT pauvre, que je viens de faire un vrai voyage : trois quarts d'heure de chemin de fer et une demi-heure de marche, pour essayer de le voir, ayant dépensé peut-être pour cela mes derniers sous - et qui ne me reçoit même pas ! 
Il avait du monde, Huysmans ou quelque autre ennemi. Naturellement, on dira partout que je suis venu lui demander l'aumône. Un instant, je suis tenté de revenir sur mes pas et d'exiger la restitution de ma lettre. A quoi bon ?
J'explique ceci à ma chère femme qui se désolait d'avoir prié vainement pour moi : la prière n'est pas pour obtenir, mais pour consoler Dieu (II Machab. VII, 6)
Il paraît qu'à Montmartre, on a dressé une grande croix lumineuse. Cette profanation manquait. Fruit charmant du républicanisme de Léon XIII. Visiblement, la fin est proche.


...

jeudi 25 août 2011

Des nouvelles de mes amis journalistes

Restez calmes !... restez assis !... tout va bien tout se passera bien !...

J'entends dire du mal de BFM TV, il y a TV dedans, ça n'a rien de surprenant pour moi qu'on puisse en penser du mal. Mais quand même. Alors, soit, je vais voir, de mes propres yeux. 

Ruth Elkrieff 18h30 - 20h30. Bon...

Deux déglingués, deux Diafoirus, colloquent pédamment, élaborent force théories, manifestent moult commentaires à propos de sondages produits par l'un. Leurs efforts semblent si naturels, et pourtant dignes du Pantagruel des meilleurs jours, pour masquer leur ignorance complète par l'emploi de mots savants et surtout de chiffres scientifiques. La dame s'autorise parfois quelques derniers coups de marteau pour enfoncer le clou. "Oui, 37% contre 31%, il est vraiment largement en tête dans les sondages". Bien sûr, c'est scientifique.

Justement non. Je pense avoir déjà réglé leurs comptes aux sondages sur ce blog, mais les journalistes en dégradent encore la portée, à la mesure de leur prétention à dire la Vérité. Parce que les sondeurs, quand ils donnent leurs résultats, 31% pour Tartempion, 37% pour Piontarté, ils fournissent aussi des marges d'erreurs. C'est-à-dire que ces chiffres sont à leurs yeux valables à "plus ou moins 2 points". Tartempion a tout autant de chances d'avoir 29% que 33%, c'est indécidable pour le sondeur, il n'en sait rien, strictement rien. Et Piontarté, lui, peut tout à fait avoir 35%, ou 39%, c'est indifférent. Or, un écart de 33% à 35% n'est pas équivalent à un écart de 29% à 39%. Ces deux écarts sont pourtant tout aussi probables l'un que l'autre d'après les résultats du sondage. Tout aussi probables. Mais si on dit 33% - 35%, les journalistes vont déblatérer sur un écart très serré entre les candidats blabla. Alors que si on leur dit : en fait c'est 29% - 39%, ils vociféreront sur l'avance gargantuesque prise par l'un au détriment de l'autre. 

Tout cela n'a aucun sens, et cette absurdité ne provient encore que de la dégradation journalistique de l'objet, du sondage... dont il faudrait encore longuement parler pour en déconstruire la prétendue portée scientifique. On voit donc à quel niveau peut se situer un tel radotage perpétuel à un an d'élections. Supporter un tel spectacle est manifestement à la portée du téléspectateur moyen, moi je ne peux pas. 

Encore ne suis-je pas au bout de mes peines. Place au direct. On retrouve le sieur Olivier Mazerolle. Bien... Il est à la Rochelle. Tant mieux pour lui. Voilà ce qui justifie le direct : 
"François Hollande était dans la voiture numéro 2, Martine Aubry dans la voiture numéro 8, et ils se sont retrouvés tout de même dans le souterrain où ils se sont faits la bise"

Bon. D'accord. C'est noté. J'en prends bonne note. Pas de problème. Tout va bien. Je l'avais déjà noté, d'ailleurs, et de longue date. Pourtant, c'est à dénoncer à chaque occasion, je pense. Sans se lasser c'est comme ça qu'ils gagnent. Là, ils viennent de parler de foot pendant 10 minutes, et ils passent de la pub. Finalement, c'est mieux comme ça, c'est moins pitoyable que ce que j'ai du subir. L'information de l'Empire. Ouste. Du balai.

vendredi 19 août 2011

Raoul nous quitte

Le Père Dinis, figure des Mystères de Lisbonne
D'accord, me direz-vous, mais c'est qui Raoul ? Oh ! je ne le connaissais que de loin, certes, son dernier film uniquement. Seulement voilà, pour l'avoir vu au cinéma, ce film m'avait inspiré cette pensée nostalgique qu'il avait 20, 30 ans de retard, que c'était au mieux une exhumation, voire un travail archéologique, pire paléontologique. Un film préhistorique, plus aucune chance d'en voir un de ce style, et si peu, si peu de mémoire de ce que c'était, que c'était. Oui, à l'époque de Visconti, on pouvait y croire encore. Mais pas en 2010. Pas en 2010 pour ces Mystères de Lisbonne. Improbables, incongrus, obsolètes, je ne sais... C'est un film important. Et romanesque. Et voilà ce qu'on lit sur Rue89 dans l'article lui rendant hommage, Raul Ruiz Mesdames et Messieurs : 


« Je suis tombé dans un moment de l'histoire du cinéma où l'on disait, “ on ne peut plus, de nos jours, raconter une histoire ”. Raconter une histoire voulait dire se soumettre à une structure en trois actes […] Moi je restais nostalgique des vieux romans – qui ne sont pas si vieux au regard de l'humanité – où il avait un foisonnement, une multiplicité d'histoires, une structure arborescente et où il n'y avait pas le mot “fin” comme dans “Les mille et une nuit”. Les bonheurs étaient éparpillés, les malheurs bien distribués. En cinéaste, j'ai intégré cet aspect romanesque à ma façon. »

Un Grand-Duc majestueux



Je pense que la vidéo ci-dessus se passe de commentaire. C'est quand même extravagant. L'auteur a eu la riche idée (elle s'imposait, mais encore fallait-il la concrétiser) d'y associer Also sprach Zarathustra de Richard Strauss. Imagine-t-on plus belle vidéo ? Comme le dit celui qui me fit découvrir cet animal, c'est à regarder en plein écran et résolution maximale (merci la technique).

jeudi 18 août 2011

Parcours littéraire

Avoir quelque énergie, et du temps, à consacrer à la lecture, voilà qui fait du bien. J'en profite, et je prospecte : quelles prochaines cibles ? J'ai certes déjà un ancien tas à terminer. Mais après ? Pourquoi tel choix plutôt qu'un autre ? Quel est mon parcours ? 

Ce qui est sûr, c'est que je suis entré en littérature par Nietzsche, pensant d'ailleurs entrer en philosophie. En 2004 ? Jusque-là, je n'avais fait que mon devoir, non mes devoirs et ce n'est pas du tout la même chose, puis lu dans le registre des sciences humaines, ou alors des écrivains contemporains grotesques (Beigbeder). Il ne me serait pas venu à l'idée d'ouvrir un roman, un vrai. Alors si, les 1984, Meilleur des mondes, Fahrenheit 451...

Et Nietzsche donc, finalement pas philosophe, mais écrivain, il fait pleuvoir le Verbe dans une fulgurance d'autant plus grande que sa fin se rapproche (tout lu depuis Humain trop humain jusqu'à Ecce Homo). Je n'ai compris tout de suite le piège, je pensais lire de la philosophie. Mais il parle de Dostoïevski comme le seul qui lui apprit quelque chose en psychologie humaine. Alors, j'étais perdu. 

Les Frères Karamazov, et plus tard, Crime et châtiment, L'idiot, Les carnets du sous-sol.

J'ai du revenir de Dostoïevski à Goethe (Les souffrances du jeune Werther) en passant par Tourgueniev (Clara Militch, Journal d'un homme de trop). Sturm and Drang (époque de mon retour à Beethoven, aussi, d'ailleurs), Bruit et Fureur. Donc, Shakespeare (Hamlet, Macbeth, Othello)... Là, la puissance des mots, de la littérature, je l'avais bien comprise. C'est alors que j'ai du découvrir, par hasard (ou plutôt par les turpitudes de l'époque) et après un détour par Vialatte (Chroniques de la Montagne), Jarry (saga du Père Ubu, le Docteur Faustroll), Toole (La conjuration des imbéciles), Marc-Edouard Nabe.

Le vingt-septième livre, puis... une quinzaine d'autres livres...

Lui m'a poussé à ouvrir d'autres portes. Bernanos (Monsieur Ouine, La France contre les robots, Sous le soleil de Satan, L'imposture), Léon Bloy (Exégèse des lieux communs, Le désespéré, Le sang du pauvre, L'archiconfrérie de la bonne mort, La Femme pauvre), Pirandello (Un, personne et cent mille), Genet (Les nègres, Le bagne), Antonin Artaud (Héliogabale, Le moine, Van Gogh le suicidé de la société), Louis-Ferdinand Céline (le Voyage, Mort à crédit, les pamphlets), Ernest Hello (Du Néant à Dieu), André Suarès (Le voyage du Condottière), Lautréamont (Les chants du Maldoror), Charles Péguy (L'argent, Notre jeunesse), Huysmans (Là-bas), Villiers de l'Isle-Adam (Contes cruels), Dante (La Divine comédie), Hallâj (Diwan), Rûmî (Mathnawi) et bien entendu Cervantès (Don Quichotte). 

Ce temps durant, j'ai lu d'autres choses aussi, qui ne devaient intégrer ma mythologie, cependant qu'elles peuvent me sembler formidables. Je pense à Pessoa (Le banquier anarchiste), Melville (Bartleby le scribe), Beckett (En attendant Godot), parmi tant d'autres magnifiques livres mais à côté, juste à côté, voisins. D'autres aussi, plus éloignés parfois. Mais aucun, venant d'en face. Et un autre, en plein dans le mille : Tolstoï (Ivan le petit sot).

Voilà. La joie de Bernanos va être réédité. Pour la suite, Jules Vallès... Barbey d'Aurevilly... Zola (L'argent)... Balzac (Illusions perdues)... Marcel Aymé ? Paul Claudel ? Romain Rolland ? Ceux qui ont lu et aimé, s'il y en a, quelques-uns de ces auteurs en gras sont bienvenus pour donner d'autres pistes. Je suis pourtant loin d'être à court...

lundi 15 août 2011

Melancholia

C'est le titre qui convient au moment, c'est le titre adéquat, le titre correspondant, le révélateur, signifiant le moment. C'est le titre de la situation, le titre de l'époque, de le cri-hi-hi-ise, de la Chute. C'est encore le titre de l'homme, de l'homme perdu parmi les robots. Lars convoque, évoque, encore, toujours, encore et encore le grand Andreï, mais il est mort hélas ! Je veux dire : il est éternel c'est entendu, mais éternellement assassiné. Le Grand Assassin, mais c'est l'Indifférence, mais c'est encore le monde qui fait le malin, le Malin. 

On les parsème le long des autoroutes, ces œuvres d'art qui sont là pour prouver que l'art existe, cependant qu'elles ne doivent surtout pas perturber l'attention de l'automobiliste. C'est un fait exprès. Les panneaux ne les signalisent pas encore : "ART - circulez, rien à voir". C'est implicite, acquis, on ne revient pas dessus, un lieu commun. Elles méritent en effet de ne pas détourner le regard, ces flèches ne transperceront jamais rien. Elles ont leur place. Plus loin encore, le Chevalier trouvera non plus de l'authentique, mais du vrai, non plus du toc, mais du vrai, non plus du l'art, mais de l'Art. Une profonde et ténébreuse forêt, menaçante à dire vrai, angoissante, sombre si sombre, étouffante, semble en défendre l'accès. Ceux qui vont si vite, trop vite, sur l'autoroute de l'information n'en imaginent rien d'autre que l'extraordinaire noirceur. Les lents Chevaliers sont rares. Et, horresco referens, seuls. Mélancoliques depuis leur forêt, alors qu'ils observent ce monde lumineux. Que voient-ils ? 

Oui, Lars, oui, une longue limousine bloquée sur une route campagnarde trop sinueuse ; plutôt : une trop longue limousine bloquée sur une route campagnarde sinueuse. En lieu et place d'un procès de l'arriération rurale, c'est bien celui de la dégénérescence moderniste que nous entendons mener. On les ramassera à la pelle, les amoureux convaincus que c'est la route qu'il faut changer. Nous, pas. Bien au contraire. Melancholia chante tout cela.

Notez que l'inverse se vérifie également. Les chevaux sont interdits au Temple de la Civilisation. C'est en limousine exclusivement que l'on se rend aux Marches, alors que ce n'est qu'à cheval qu'on gagne le village. Le symbole est presque trop beau, il aurait fallu l'inventer. Gloire à cette journaliste qui cru bon d'interroger Lars von Trier sur le romantisme allemand, ses origines allemandes, son goût pour l'esthétique nazie. L'exceptionnelle réponse de l'Artiste lui valut l'exclusion du Festival (gloire aux organisateurs). Il est à sa place, dans les ténèbres.


Quand on pense qu'une ligne de Hello suffit, qu'un plan de Tarkosvki suffit, l'immense flux de culture décadente a de quoi rendre, mélancolique.

samedi 13 août 2011

Péguy encore - Morceaux choisis

Voilà sur quoi on tombe en tapant "mystique". CQFD
Encore Péguy. Après L'Argent, j'ai lu le poche de Folio n°232 Notre Jeunesse précédé par De la raison. Je n'en parle pas. Ce serait trop proche de l'actualité de ce blog. Malgré le contexte différent (retour sur l'Affaire Dreyfus, en l'occurrence), les mêmes questions se posent, les mêmes réponses y sont apportées. Comme il écrit à peine mieux que moi, autant en citer quelques phrases, tout simplement. Je les garderai en mémoire, mais elles seront ici à portée de main. Excusez du peu :

Nous ne méprisons pas les humanités passées, nous n'avons ni cet orgueil, ni cette vanité, ni cette insolence, ni cette imbécillité, cette faiblesse. Nous ne méprisons pas ce qu'a d'humain l'humanité présente. Au contraire, nous voulons conserver ce qu'avaient d'humain les anciennes humanités. Nous voulons sauver ce qu'a d'humain l'humanité présente. (pp. 71-72)

Nous n'avons pas plus à vendre la terre que les chrétiens n'avaient à vendre le ciel. (pp. 73-74)

A propos des journalistes : "Nous, simples citoyens" vont-ils répétant. Ils veulent ainsi cumuler tous les privilèges de l'autorité avec tous les droits de la liberté. Mais le véritable libertaire sait apercevoir l'autorité partout où elle sévit ; et nulle part elle n'est aussi dangereuse que là où elle revêt les aspects de la liberté. (pp. 80-81)

La raison ne procède pas de la pédagogie. Nous touchons ici au plus grave danger du temps présent. Malgré la complicité des mots mêmes, il ne faut pas que la pédagogie soit de la démagogie. C'est la pédagogie qui doit s'inspirer de la raison, se guider sur la raison, se modeler sur la raison. (p. 87)

Aussitôt après nous commence un autre âge, un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui s'en font gloire et orgueil [...] le monde moderne. Le monde qui fait le malin. (p. 102)

Le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même que le mouvement de sa déchristianisation. C'est ensemble un même, un seul mouvement profond de démystication. (p. 102)

On prouve, on démontre aujourd'hui la République. Quand elle était vivante on ne la prouvait pas. On la vivait. Quand un régime se démontre, aisément, commodément, victorieusement, c'est qu'il est creux, c'est qu'il est par terre. (p. 107)

Nous croyons au contraire (au contraire des uns et des autres, au contraire de tous les deux ensemble) qu'il y a des forces et des réalités infiniment plus profondes, et que ce sont les peuples au contraire qui font la force et la faiblesse des régimes ; et beaucoup moins les régimes, des peuples. (p. 112)

Ces élections sont dérisoires. Mais l'héroïsme et la sainteté avec lesquels, moyennant lesquels on obtient des résultats dérisoires, temporellement dérisoires, c'est tout ce qu'il y a de plus grand et de plus sacré au monde. [...] Tout commence par la mystique, par une mystique, par sa (propre) mystique, et tout finit par de la politique. (p. 115)

il importe peut-être, il importe évidemment que les républicains l'emportent sur les royalistes, ou les royalistes sur les républicains, mais cette importance est infiniment peu, cet intérêt n'est rien en comparaison de ceci : que les républicains demeurent des républicains ; que les républicains soient des républicains. (p. 116)

Quand on voit ce que les réactionnaires ont fait de la sainteté, comment s'étonner de ce que les révolutionnaires ont fait de l'héroïsme. (p. 117)

Le débat n'est pas entre un ancien régime, une ancienne France qui finirait en 1789 et une nouvelle France qui commencerait en 1789. Le débat est beaucoup plus profond. Il est entre toute l'ancienne France ensemble, païenne (la Renaissance, les humanités, la culture, les lettres anciennes et modernes, grecques, latines, françaises), païenne et chrétienne, traditionnelle et révolutionnaire, monarchiste, royaliste et républicaine, - et d'autre part, et en face, et au contraire une certaine domination primaire, qui s'est établie vers 1881, qui n'est pas la République, qui se dit la République, qui parasite la République, qui est le plus dangereux ennemi de la République, qui est proprement la domination du parti intellectuel. (p. 119)

Quand par impossible un homme de cœur discerne au point de discernement, s'arrête au point d'arrêt, refuse de muer à ce point de mutation, rebrousse à ce point de rebroussement, refuse, pour demeurer fidèle à une mystique, d'entrer dans les jeux politiques, dans les abus de cette politique qui est elle-même un abus, quand un homme de cœur, pour demeurer fidèle à une mystique, refuse d'entrer dans le jeu de la politique correspondante, de la politique issue, de la politique parasitaire, de la dévorante politique, les politiciens ont accoutumé de le nommer d'un petit mot bien usé aujourd'hui : volontiers ils nous nommeraient traître. (p. 127-128)

Notre première règle d'action, de conduite sera de ne point continuer aveuglément par-dessus le point de discernement une action commencée en mystique et qui finit en politique. [..;] Prendre son billet de départ, dans un parti, dans une faction, et ne plus jamais regarder comment le train roule et surtout sur quoi le train roule, c'est, pour un homme, se placer résolument dans les meilleurs conditions pour se faire criminel. (p.136)

Les mystiques sont beaucoup moins ennemies entre elles que les politiques ne le sont entre elles. (p. 138)

La politique se moque de la mystique, mais c'est encore la mystique qui nourrit la politique même. Car les politiques se rattrapent, croient se rattraper en disant qu'au moins ils sont pratiques et que nous ne le sommes pas. Ici même ils se trompent. Et ils trompent. Nous ne leur accorderons pas même cela. Ce sont les mystiques qui sont même pratiques et ce sont les politiques qui ne le sont pas. C'est nous qui sommes pratiques, qui faisons quelque chose, et c'est eux qui ne le sont pas, qui ne font rien. C'est nous qui amassons et c'est eux qui pillent. C'est nous qui bâtissons, c'est nous qui fondons, et c'est eux qui démolissent; C'est nous qui nourrissons et c'est eux qui parasitent. C'est nous qui faisons les œuvres et les hommes, les peuples et les races. Et c'est eux qui les ruinent. (p. 149)

Ceux qui se taisent, les seuls dont la parole compte. (p. 152)

Une mystique peut aller contre toutes les politiques à la fois. (p. 161)

La méconnaissance des saints par les pécheurs et pourtant le salut des pécheurs par les saints, c'est toute l'histoire chrétienne. (pp. 163-164)

La mystique est la force invincible des faibles. (p. 177)

A propos de Bernard-Lazare : Je ne sais rien de si poignant, de si saisissant, je ne connais rien d'aussi tragique que cet homme se roidisssant de tout ce qui lui restait de force se mettait en travers de son parti victorieux. (p. 192)

Bernard-Lazare disait plus simplement : On ne peut pas embêter les hommes parce qu'ils font leur prière. (p. 214)

Notre socialisme [...] n'était nullement antinational. Il était essentiellement et rigoureusement, exactement international. Théoriquement il n'était nullement antinationaliste. Il était exactement internationaliste. Loin d'atténuer, loin d'effacer le peuple, au contraire il l'exaltait, il l'assainissait. Loin d'affaiblir, ou d'atténuer, loin d'effacer la nation, au contraire il l'exaltait, il l'assainissait. Notre thèse était au contraire, et elle est encore, que c'est au contraire la bourgeoisie, le bourgeoisisme, le capitalisme bourgeois, le sabotage capitaliste et bourgeois qui oblitère la nation et le peuple. (pp. 217-218)

[...] qu'enfin il n'y a point de lieu de perdition mieux fait, mieux aménagé, mieux outillé pour ainsi dire, qu'il n'y a point d'outil de perdition mieux adapté que l'atelier moderne. (p. 221)

Une fois de plus deux partis contraires sont d'accord, se sont trouvés, se sont mis d'accord non pas seulement pour fausser le débat qui les divise ou paraît les diviser, mais pour fausser, pour transporter le terrain même du débat là où le débat leur sera le plus avantageux, leur coûtera le moins cher à l'un et à l'autre, poussés par la seule considération de leurs intérêts temporels. (p. 228)

Ainsi l'embourgeoisement par le sabotage suit une marche inverse de celle que nous voulions suivre. Et faire suivre. Nous voulions qu'un assainissement du monde ouvrier, remontant de proche en proche, assainît le monde bourgeois et ainsi toute la société, toute la cité même. Et il s'est produit au contraire, en fait il s'est produit qu'une démoralisation du monde bourgeois, en matière économique, en matière industrielle et en toute autre matière, dans l'ordre du travail et dans tout autre ordre, descendant de proche en proche, a démoralisé le monde ouvrier, et ainsi toute la société, la cité même. Loin d'ajouter, de vouloir ajouter un désordre à un désordre, nous voulions instaurer, restaurer un ordre, un ordre nouveau, ancien ; nouveau, antique ; nullement moderne ; un ordre laborieux, un ordre du travail, un ordre ouvrier ; un ordre économique, temporel, industriel ; et par la contamination pour ainsi dire remontante de cet ordre réordonner le désordre même. (p. 232)

La discipline des anarchistes, par exemple, fut notamment admirable. (p. 252)

Les fondateurs viennent d'abord. Les profiteurs viennent ensuite. (p. 257)

A propos du monde moderne : Il est beaucoup plus une maladie naturelle. Deuxièmement cette maladie naturelle est beaucoup plus grave, beaucoup plus profonde, beaucoup plus universelle. Nul n'en profite et tout le monde en souffre. (pp. 267-268)

La République serait le régime de la liberté de conscience pour tout le monde, excepté précisément pour les républicains. (p. 299)

Je ne serais pas surpris qu'un imbécile, et qui manquerait de sens historique trouvât ce ton un peu ridicule. Il est passé. Ces hommes, qui avaient ce ton, ont fait de grandes choses. Et nous ? (p. 301)

On ne fonde, on ne refonde aucune culture sur la dérision et la dérision et le sarcasme et l'injure sont des barbaries. (p. 302)


Voilà Péguy, il ne vous reste plus qu'à lire le livre en entier. Mystique, socialiste, chrétien - en 1910, il était parmi les derniers. Il était confiant envers un redressement. Force est de constater qu'en 2011, nous sommes encore dans la Chute.