jeudi 6 octobre 2011

Nous les nazis

Voici un article sans ambiguïté, sans ambiguïté aucune, et disons-le : doublement sans une seule ambiguïté. L'ambiguïté devient un très court chemin vers le commissariat - vers la Kommandantur. Gloire et louanges ont déjà été chantées en l'honneur de Lars von Trier, en ces Terres, pour son Œuvre, mais aussi et plus récemment pour ses propos "provocateurs", "ambigus" et "pro-nazis". Le voilà entendu par la police danoise, avant que la française ne prenne le relais ? 

Il nous faut être honnête, cette accusation est tout à fait logique. Il le mérite. Nous le méritons, nous tous, nous les nazis. C'est vrai. Les masques doivent tomber, nous sommes nazis. Nous partageons une sensibilité, une politique, une philosophie, une mystique en réalité, profondément républicaines, démocrates, humanistes.

A ce titre, il est implacable, nécessaire, et fatal que nous soyons, par la radicalité de notre opposition à tout fascisme... Il est sans appel que nous soyons frappés par la loi des démocrates, des républicains, des humanistes ; des "démocrates", des "républicains", des "humanistes". 

Nous haïssons le pouvoir, les pouvoirs, la domination, les dominations, les fascismes de tous genres, pas seulement le poussiéreux vingtiémiste, non ! tous, tous autant qu'ils sont. Nous en décelons les germes non pas dans la méchanceté, la vilénie, la monstruosité de quelques dictateurs manipulateurs, non pas dans l'ignorance des masses passées, ignorance que nous aurions vaincue, nous modernes à l'abri des virus des "heures les plus sombres de notre histoire", à la modeste condition d'en célébrer la Mémoire ; nous les décelons au plus profond de la pensée moderne, des modes de vie industriels, des autoroutes de l'information, de l'abaissement de la mystique démocrate en politique démocrate.

Notre mystique nous pousse à mener le procès de la modernité. Nous pensons que si notre régime s'appelle "démocratie", c'est parce qu'il n'est pas une démocratie. Son système, autrefois appelé "gouvernement représentatif" (compris comme le contraire de la "démocratie"), nous le voyons oligarchique. Autant dire dégénéré. 

Nous avons un niveau d'exigence largement supérieur, ô combien ! au lamentable et pathétique (pathologique) spectacle que notre politique nous offre. Athées, nous parlons Dieu. Anarchistes, nous parlons Morale. Dieu est mort, donc l'Homme aussi. Être ou ne pas être Surhomme. Voyez ! Voyez ! le carré de l’hypoténuse, c'est géométrique, ils doivent nous prendre pour des nazis. Il ne peut en être autrement. 

De notre point de vue, nous sommes intouchables quant à ces questions. Notre obsession est la Question humaine. Le Langage. Le Sens. La Littérature. L'Altérité. C'est nous, avec nos obsessions, qui sommes les premières cibles du nazisme, de toute dictature. Nous n'avons pas à les combattre, à affirmer les combattre. Notre existence suffit. Demande-t-on à la souris de prouver qu'elle veut échapper au chat ? Nous n'avons pas ce temps-là à perdre. Vis-à-vis du fascisme, nous ne souffrons aucune ambiguïté. 

Nous pouvons donc dire : "Nous, les nazis". Qui cela peut-il déranger ? Le pouvoir en place. Ça tombe bien, c'est lui qui nous dérange, qui nous vole nos mots, nous aliène, et qui organise notre abandon volontaire de liberté. C'est lui, oui, pas de loqueteux épouvantails. Nous qui sommes démocrates, sommes dérangés par les "démocrates". Il est juste que nous les dérangions quelque peu en retour. Pour eux, il est extrêmement important que nous soyons démagogues, populistes, antisémites, extrémistes, apologistes du terrorisme et du fascisme, mais encore névrosés, dépressifs et pessimistes. Ces accusations sont si grotesques que nous pouvons les accueillir gaiement comme quelques ridicules gouttes d'eau tombant dans le brasier ardent de Thérèse de Lisieux. 

Alors oui, amis journalistes tolérants démocrates et professeurs de leçons de maintien, oui nous aimons le romantisme allemand, oui nous aimons Louis-Ferdinand Céline, et non nous n'aimons pas le régime que vous défendez. Le formidable raccourci que vous prenez, depuis ces constatations jusqu'à l'ami Hitler (je dis l'ami... comme notre maître le Mahatma Gandhi l'a fait : lui offririez-vous un séjour en prison supplémentaire ?) nous honore. Je répète : nous honore. Ce raccourci insensé ne saurait en effet nous salir de l'ignominie et de l'horreur nazie ; il nous décore en revanche comme opposants, comme résistants à votre pouvoir, à votre fascisme au sens de l'ami Pier-Paolo Pasolini des écrits corsaires. 

Je le sens, une dernière levée d'ambiguïté est de mise. Nous ne vous accusons pas, nous ne vous comparons pas, malgré la provocation de certains mots employés. Nous ne nous exonérons en rien, d'ailleurs, de nos flèches. Nous ne faisons pas de vous les nazis que vous voulez faire de nous. Nous disons simplement que notre lutte est perpétuelle, bien que les acteurs changent ; nous luttons contre le crime, pas contre les criminels. Vous avez, de notre miroir, enlevé la poussière, aurait rappelé Rûmî (sur lui la Paix), alors que vous pensiez nous offenser. Est-ce dur à avaler ?

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